13 oct. 2012

Avant la lettre - Part Two




Cette image a servi de sujet lors d'un atelier d'écriture. Voici la deuxième partie des textes qu'elle a pu inspirer.


JERRYCAN ET PETITE PEPEE

Depuis mon observatoire favori, une petite enclave au bout de notre propriété, je suis bien installé pour les espionner, eux autant que tous les autres, ceux qui viennent ici, se croyant bien à l’abri de tout regard indiscret. Personne ne peut s’imaginer, à part moi qui connaît le domaine comme ma poche, que cet endroit n’est pas en fait si bien protégé que cela. C’est ainsi que je détiens tous les secrets ou presque de notre petite colonie.

Cette fois ci je ne m’étais donné aucun mal ou n’avait bénéficié d’aucune chance particulière, j’avais juste entendu ma sœur lui donner rendez vous à cet endroit précis. Et comme lui, je ne pouvais pas le supporter, il était absolument impératif que je m’y trouvas en même temps qu’eux.
Je ne sais pas ce que ma sœur lui trouvait à cet avorton, à peine plus grand que moi, portant ces vestes aux couleurs ridicules…sa parfaite raie dessinée au milieu de ses cheveux crantés, un peu rouquin. Je me demande s’il n’était pas daltonien parce qu’il forçait toujours sur les couleurs ; s’il mettait une veste jaune moutarde comme aujourd’hui, au lieu de faire profil bas, il optait également pour un pantalon d’une couleur… aussi voyante que celle de sa veste. Il fallait oser, surtout dans notre famille, où il n’était pas de bon ton de faire de vagues… même vestimentaires.
Et ma sœur, elle se donnait de ses airs depuis qu’il lui était poussé des tétés…elle piquait les vêtements de maman, surtout quand elle n’était pas là, pour faire sa mijaurée et elle s’était mise à fumer….en cachette bien sûr. Elle n’avait plus le temps de jouer avec moi, de se rouler dans l’herbe, d’attraper des bestioles dans le ruisseau, de parler tard le soir et de ricaner de tout et de rien. Je ne la reconnaissais plus…C’est quoi ce chapeau que maman avait acheté pour le mariage de la fille de notre voisin ? On voit à peine sa jolie petite frimousse, illuminée de taches de rousseur et son sourire que j’aime tant. Tout çà pour ce bellâtre de Thibaud de Montalembert. Mais qu’est ce qu’ils font ? Je n’entends pas bien ce qu’ils se disent… Marjorie a l’air agacé…. Je le vois à son nez qui s’est retroussé, elle fait toujours çà quand elle est contrariée…on dirait qu’il n’y a plus d’essence dans la voiture ! C’est pas malin de la part du Montalembert s’il voulait l’emmener faire un tour dans sa décapotable… çà commence mal. Ils n’ont pas beaucoup de temps parce que les parents ne sont pas partis très longtemps cette fois ci et si jamais papa les voit…. Çà va chauffer pour Marjorie. Papa a aussi horreur de ce type et c’est fou les horreurs qu’il dit sur lui, même devant Marjorie. Maman ne dit rien mais elle n’en pense pas moins. Bon, de toute façon je ne vais pas rester là parce qu’il ne se passe rien, ils ne s’engueulent même pas. Il va l’emmener faire une promenade et je la coincerai à son retour en la menaçant de tout répéter aux parents.

Depuis mon observatoire favori, non seulement je vois ce petit merdeux de Montalembert et la fille du patron, mais, j’aperçois aussi son bêta de frère, qui croit toujours qu’il est le seul à régner sur cet endroit. Moi aussi je connais la propriété comme ma poche puisque j’en suis le régisseur, ayant succédé à mon père. Quand j’ai vu Marjorie accoutrée ainsi, je me suis douté qu’elle avait rendez vous avec l’avorton. Cà ne me plait pas du tout, parce que Marjorie, elle est à moi. Je la connais depuis toujours, nous avons grandi ensemble, elle est devenue une belle  fille que je ne pourrai malheureusement pas épouser, son père ne le voudra jamais. Si je dois y renoncer, et je n’ai pas dit mon dernier mot, en tout cas, je ne la laisserai pas à un gugusse pareil. Franchement, elle mérite mieux ma Marjorie et si je ne suis pas toujours d’accord avec son père, là, en revanche je le suis à cent pour cent. Bien sûr, je souffre en silence, je ne veux pas renoncer à elle. C’est difficile d’oublier quand nous partagions tout. Enfants, je pouvais la toucher, la pincer, lui caresser les cheveux, la tenir par la main, me cacher avec elle pendant des heures. Maintenant, je suis condamné à l’épier, veiller sur elle de loin. Je crois qu’elle a du sentiment pour moi, elle me regarde à la dérobée, elle rougit quand elle me croise, elle me parle à peine mais ne me fuit pas. Elle fait tout pour me rencontrer au moins une fois par jour. Nous nous voyons souvent, mais pas comme avant, il y a toujours la présence de quelqu’un d’autre. Il faut que j’arrive à la rencontrer seule pour lire dans ses yeux mais cela ne sera pas pour aujourd’hui, elle va aller faire un tour avec lui, dans sa belle voiture. J’ai pourtant tout fait pour que cela ne se produise pas et je me demande où il a trouvé ce jerrycan ? J’espère que c’est de du gasoil et qu’il va bousiller son moteur.
Sinon, je n’ai plus qu’à attendre son retour. Elle sera ébouriffée, les joues rosies…mais le nez retroussé de contrariété, c’est inévitable, il va l’agacer et je serai là pour me délecter de ce moment.

Depuis mon observatoire favori, je regarde ce jeune couple qui a l’air d’être en panne d’essence. Cela ne fait pas longtemps que je suis arrivé dans la région mais j’ai par hasard trouvé cet endroit, où semble converger toutes les histoires de ce patelin. Je sais que je ne suis pas le seul témoin, des feuillages qui bougent alors qu’il n’y a pas de vent, des oiseaux qui évitent de voler au dessus de certains secteurs….je sens une ou plusieurs présences, des gens d’ici, parce qu’ils connaissent bien leur territoire et savent se fondre dans le paysage. Cela m’importe peu car ils doivent penser être les seuls et que surtout aucun étranger n’oserait s’aventurer sur leurs chasses gardées.
Je ne sais pas qui sont ces jeunes gens, beaux, bien habillés, riches. Et cette voiture…elle est vraiment chouette, j’aimerais bien l’avoir pour me balader et faire le tour de l’île, une petite pépée à mes côtés. Attendons un peu voir si par hasard ils ne l’abandonneraient pas pour aller chercher de l’essence. A moins que lui n’aille chercher de l’essence et laisse la petite pépée qui ne peut pas marcher trop longtemps, vu les talons qu’elle porte… Hé hé çà c’est bon pour moi, la caisse et la petite pépée.

Quand mes parents sont rentrés, la gendarmerie était déjà là et avait commencé à nous interroger, les domestiques, Baptiste notre régisseur et moi. J’avais raconté ce que j’avais vu, le rendez vous de ma sœur avec l’avorton mais que je ne savais pas ni quand ni comment ils étaient partis, les ayant laissés en train de bavarder autour d’un jerrycan.
Quant à Baptise, ah ce fourbe qui lui aussi était caché pas très loin de moi, il avait dit qu’il se trouvait là, les avait bien vus mais n’était pas resté plus longtemps que cela, tout paraissant normal. Il pensait que Mlle Marjorie avait la permission de ses parents et ne s’était pas inquiété davantage.
Les gendarmes nous ont emmené sur les lieux où nous avions laissé Marjorie et M. de Montalembert, qui avait été retrouvé, le crâne fracassé, à quelques centaines de mètres de l’endroit où Baptiste et moi les avions vus pour la dernière fois.
En ratissant le secteur, les gendarmes comprirent qu’il y avait eu un autre témoin de cette scène mais qu’il n’avait laissé aucune trace exploitable. Ils recherchaient donc une Cadillac Sedan Deville de couleur framboise écrasée, conduite par un inconnu, accompagnée d’une jeune fille, portant un chapeau à très large bord, ceci dans le meilleur des cas, ladite jeune fille pouvant également être enfermée dans le coffre. Il fallait s’attendre à tout. Il n’y eut que moi pour l’entendre.
Ma mère pleurait, mon père s’était tassé et je me préparais à une très longue et triste nuit.
Françoise


ATELIER D’ECRITURE N° 5 
Thème: « Visuel BD »

« Ne restez pas planté là, comme un idiot ! Rendez-vous utile, pour une fois, Richardson ! » Abigail Bekaert ne parlait jamais bien aux gens. Ceux qui l’ont connue enfant se souviennent d’une petite fille, méchante et bête. Ses professeurs particuliers et ses nounous surpayées ne restaient jamais bien longtemps dans la grande maison familiale du Sussex. Pourtant habitués aux caractères souvent difficiles des enfants de la haute société londonienne, aucun ne supportait plus de quelques mois, les colères et les caprices de cette petite fille, riche certes, mais mal élevée. Elle ne devait son admission dans les nombreux pensionnats suisses où elle avait poursuivit ses études, qu’aux opportunes et généreuses contributions de Sir Thomas Bekaert, son père, fondateur et Président du Groupe Bekaert, dont elle était aujourd’hui, l’unique héritière.
La mort accidentelle de Mildred, sa mère et d’Alister, son frère, tous les deux disparus dans le crash de leur petit avion au nord de l’Inde, avait bousculé la hiérarchie familiale. Elle devait désormais se préparer à prendre les commandes. A l’annonce de la terrible nouvelle, Abigail n’avait pas réagi. Lors des obsèques, elle n’avait laissé paraitre aucune émotion. Certains avaient voulu y voir de la dignité, de la retenue, liée à sa, forcément, bonne éducation. D’autres n’avaient pas de mots assez durs à l’encontre de cette jeune femme au sang trop froid, et au sourire trop rare.
Cinquième homme le plus riche de la planète, « derrière ce plouc de Bill Gates », comme le disait souvent Abigail, mais loin devant la Reine d’Angleterre, Sir Thomas Bekaert, dirigeait, depuis plus de 30 ans, le groupe Bekaert, leader mondial dans le pétrole, le gaz, la chimie, l’hôtellerie de luxe, la banque… Une fortune estimée à plus de 50 milliards de dollars. Bientôt, tout cela serait à elle.
Il y a quelques jours, elle avait reçu un message de son Lord de père. Il voulait la voir au plus vite. Ok, mais pourquoi la faire venir jusque dans ce trou ? Un rendez-vous en pleine jungle, au cœur de la forêt birmane du sud-est du plateau du Shan ! Et quelle idée de lui envoyer cet idiot de Richardson, responsable du bureau local, pour venir la chercher. Obligée de se taper tout le trajet en voiture, son père, ne voulant plus qu’elle prenne l’avion depuis l’accident. Il aurait pu prendre un 4X4 plutôt que cette Cadillac hors d’âge. Et il aurait pu au moins faire le plein. Maintenant, elle se retrouvait en panne sèche entre Taunggyi et Lashio. L’héritière du Groupe Bekaert, premier raffineur de brut au monde, en panne d’essence ! La situation aurait pu être comique mais Abigail Bekaert ne souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait ri.

« Et vous comptez faire quoi avec cette gourde ridicule ? »

Benoît


Memento

Eddie se souvenait avoir eu du mal à se coucher la veille. Une fois debout, il se lava à l’eau glacée, pour se réveiller. La cuisine était vide. Il se servit quelques tranches de pain, un bol de fruits, un café à l’odeur de goudron et de cuir. Il enfila son pantalon turquoise et sa veste jaune. Il eut la fugitive impression que rien ne se déroulait comme prévu. Il croisa son regard inquiet dans le miroir de l’entrée. Helen...Le nom refit surface en quelques secondes et il l’écarta à nouveau. Qu’avait-il fait ? Dehors il distinguait le chemin qui menait à la mer. Le soleil était levé depuis longtemps et il entendait les cris qui venaient de la plage. L’air frissonnait en se posant sur les surfaces ensoleillées. On devait être dimanche.
Il resta appuyé sur le chambranle de l’entrée de sa maison. C’était une maisonnette de bois avec un toit de tôle vermillon entouré d’un jardin en friches. La nausée montait et tout lui revint.

Il travaillait dans un laboratoire à Sao Paulo où il participait à des études sur la maladie d’Alzheimer. Il s’agissait de comprendre le processus dégénératif qui commençait souvent dix ou quinze ans avant que ne surviennent les premiers symptômes. Le noeud du problème consistait à identifier les marqueurs précoces et bien sûr à trouver des médicaments susceptibles de traiter la maladie encore silencieuse. Les enjeux étaient colossaux, disait son chef : 35 millions de personnes dans le monde étaient concernées. Il n’était lui-même qu’un assistant chargé de s’occuper des cobayes. Il les voyait évoluer au gré des injections. Certains progressaient brusquement puis retombaient dans une sorte d’hébétude. Il n’aimait pas ce spectacle. Heureusement il avait sa passion pour les américaines des années cinquante. Il était particulièrement fier de sa dernière acquisition, une Cadillac Eldorado de 1959, du même rose que celle d’Elvis.

Il avait rencontré Helen grâce à cette voiture. La veille au soir il avait profité de la splendeur de la fin d’après-midi sur la baie de Caraguatuba pour rouler le long du boulevard de la mer, pour sentir l’asphalte crisser sous les roues. Ainsi il entendait la lourde rumeur des vagues de l’Atlantique se brisant sur la plage incurvée.
C’est d’abord sa démarche qui l’avait intrigué. Helen semblait fendre l’espace saturé d’embruns comme l’habitante d’un autre univers. Elle portait un chapeau à larges bords qui la protégeait du soleil. Ses vêtements beige pâle tranchaient avec ses bas noirs incongrus par cette chaleur.
Soudain elle se retourna et leva le pouce à la manière des autostoppeurs.
Eddie freina brusquement.
- Pouvez-vous me déposer ?
Le ton ressemblait  plus à un ordre qu’à une question. Déjà elle était assise à ses côtés.
- Je dois rejoindre Parabuina.
Elle le regarda et il perçut un mélange d’affolement et de décision.
- Mes amis habitent là-bas.
Elle jeta un bref regard sur le blazer jaune et le pantalon turquoise. Il se sentit rougir.
- Bon. OK. Allons-y
Le vent faisait bouger doucement ses fins cheveux blonds et elle tenait son chapeau dans un geste désuet et anachronique.
Ils traversèrent la ville puis commencèrent à rouler sur la SPO99 en direction de Parabuina. De la route en lacets la vue plongeait sur l’outremer atlantique.
Elle répéta :
- Mes amis habitent là-bas. Il faut vraiment que je sois chez eux ce soir.
- Pas de problème !
En fait il se trouvait embarqué plus loin qu’il ne l’aurait voulu, sur cette large route où de superbes voitures passaient en vrombissant, insectes ailés à la carapace rutilante. La lame aiguisée de la Cadillac découpait l’air saturé de terre humide et de fruit sous un halo émeraude vibrant.
- Je connais un raccourci ! Prenez par là, à droite !
Surpris, il obéit et la Cadillac se retrouva sur une large piste de terre. La forêt semblait avoir grandi. Elle les entourait maintenant et ils percevaient le mieux le chant des oiseaux, le cri des aras. De grandes plantes évoquant des cycas géants arboraient un feuillage récent.

Ils parcoururent ainsi quelques kilomètres dans un silence d’église. Brusquement la Cadillac ralentit, hoqueta puis s’arrêta. Helen ne manifesta aucun signe d’énervement. elle se contenta d’allumer une cigarette.
Elle avait un petit visage triangulaire très blanc, des yeux étroits légèrement étirés vers les tempes. Il réalisa qu’il ne l’avait pas encore vue sourire.

Il descendit de l’automobile, trouva un jerrican dans le coffre. La scène cliché de la panne. Sauf qu’il ne l’avait pas fait exprès. Il avait oublié de mettre de l’essence, il oubliait de plus en plus de choses ces temps-ci. Sa mémoire se mettait à ressembler à celle des cobayes du labo. Un jour, ils se mettaient à tourner en rond, ne sachant plus où aller, incapables même de se nourrir. Les chercheurs scrutaient leur cerveau à la recherche de la molécule qui arrêterait le processus dévastateur. Face au capot, il réalisa qu’il ne savait plus l’ouvrir. Déjà ? Si vite ? Il revit brièvement les petites pilules jaunes et bleues que son chef lui donnait pour calmer ses maux de tête. Il n’avait pas vérifié de quoi il s’agissait.

Derrière son dos, il sentait la masse compacte de la forêt, le froissement de tous ces êtres peuplant les sous-bois. Se promener entre les troncs annelés et orangés, arpenter les sous-bois de fougères grises, il aurait aimé peut-être...Le vent se leva, les palmes lourdes s’échevelèrent avec un bruit métallique. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Qui était cette fille accoudée sur la carrosserie chaude ? .................................L’obscurité gagnait, un violet sombre couvrait la scène. L’air humide portait un parfum de terre sucrée........................................................................................................

Il essuya le sang qui coulait sur son visage. Elle l’avait griffé. Elle gisait au sol, une vilaine marque bleu nuit autour du cou. La nuit l’entourait, effaçant  la scène.

La vague de terreur.............Le regard trop clair de cette créature blonde déjà ailleurs..........La faire taire, vite............Eviter qu’elle ne le regarde, ne le touche...........SI simple. Il avait des mains longues et puissantes aux doigts musculeux. Elles s’étaient refermées sur son cou telles des animaux dotés de vie propre........

L’autoroute.....le stop......quelqu’un l’avait emmené chez lui... sa tête, une pierre qui l’emporte au fond de l’eau.

Il regarda l’heure. 7 heures. Il allait devoir retourner au laboratoire. Son chef s’étonnerait de sa mauvaise mine et lui proposerait les gélules jaunes et bleues. Il les accepteraient sans hésiter, avide d’oubli et d’innocence.

Joëlle


SUR UN ARBRE PERCHE

Perchés sur la branche du grand acacia, Tuxedo et Babila, les patrons du Tropicana, dormaient encore.
Ils n’avaient jamais vu autant de monde dans leur local comme la nuit dernière. Les oiseaux s’étaient donnés tous rdv pour fêter un grand événement : les habitants du delta du fleuve avait renoncé à abattre les arbres de leur forêt.
Ivres de joie, les créatures ailées avaient chanté et dansé toute la nuit. Certains avaient attendu l’aurore pour boire la rosée toute fraîche des feuilles d’acacia et Tuxedo les avaient dirigé pour un dernier ramage, l’Hymne à la plume, heureux de ne plus risquer d’y laisser les leurs.
Le râle métallique d’une Cadillac tombée en panne réveilla Babila, le perroquet.
Elle ouvrit les yeux et fut éblouie par la couleur décidément inattendue de cette voiture : rose hello kitty!
Babila faillit tomber de sa branche : cette couleur correspondait exactement à celle de son plumage (elle avait eu une grand-mère flamande, rose, originaire de Camargue). Comment pouvaient-ils oser autant ?! Avec quelle arrogance les gens du delta s’aventuraient dans leur forêt et se permettaient de rouler en rose ?
Heureusement la femme avait eu la décence de s’habiller en une autre couleur, néanmoins, avec sa cigarette infecte, son humeur exécrable, ses collants noirs et plus épais que des collants de contentions, son chapeau parabole, elle n’était pas à l’abri de la faute de goût !
Ainsi accoutrée, ils ne l’auraient jamais laissé rentrer au Tropicana… alors que lui, l’homme au jerricane, il avait du potentiel.
Babila décida de réveiller son ami toucan :

- Tuxedo, il est presque midi, on a de la visite !
- Qui ? quoi ?
- Regarde le beau gosse à la veste jaune, il est charmant, n’est-ce pas ?
- Oui, lui, on dirait un vrai perroquet.

Babila, vexée, donna un coup d’aile à Tuxedo pour mieux le réveiller et s’envola vers les pink-automobilistes en panne.
Elle se cacha derrière l’aileron de la Cadillac pour les observer.
Certes, ils ne brillaient pas pour leur initiative. Elle se limitait à fumer et à faire la gueule. Lui, démuni, il s’était procuré on ne sait pas comment ce mini-jerricane qui semblait beaucoup plus adapté à contenir du jus d’orange pour un petit déjeuner en amoureux que les quelques litres d’essences nécessaires à faire repartir la vorace Cadillac.
Tuxedo ne tarda à la rejoindre, mais la femme se retourna juste au moment où Tuxedo prit son envol. La cruche se mit à hurler en voyant le toucan planer au-dessus de son chapeau-parabole. Avait-elle peur que Tuxedo perturbe la réception de ses chaînes préférée ? Babila quitta sa cachette pour prêter secourt à son ami et se prit un coup de jerricane sur l’aile puisque l’homme à la veste jaune, paniqué, avait commencé à agiter le récipient dans l’air comme s’il avait été piqué par une tarentule.
La tarentule, effectivement, c’était elle, avec ses collants noirs en plein été et en pleine forêt…
Malgré le coup de jerricane, Babila décida qu’il faillait arracher le pauvre garçon-perroquet à l’emprise de la tarentule chapeautée.
Avec son bec Babila lui tira la manche de la veste, elle voulait lui indiquer le chemin qu’il fallait prendre jusqu’à la tribu des Yoyoko. Elle savait que les Yoyoko auraient pu avoir des réserves d’essence. Cette tribu vivait sans eau courante et sans électricité mais elle possédait des terrains de golf à perte de vue où avait lieu un tournoi au moins une fois par semaine.
Babila avait souvent entendu le bruit des tondeuses utilisées pour égaliser le gazon et elle avait senti leur odeur désagréable. Sûrement ces tondeuses marchaient grâce à un moteur à combustion.
La tribu se consacrait avec passion et ténacité à cette discipline grâce à un anthropologue, ex-champion de golf, qui était venu les étudier et leur transmettre le goût pour ce sport. Il pensait que la pratique du golf était un excellent moyen pour se familiariser à la civilisation.
Son expérience avec les Yoyoko fut un succès et depuis la tribu avait intégré les tournois de golf dans leurs uses et costumes.
A force de pointer la sa crête rose dans la direction de la tribu Yoyoko, Babila eut mal à la tête mais au moins l’homme-perroquet comprit qu’il fallait la suivre.
Babila réussit à prononcer le mot ‘DOLIPRANE’ et l’homme-perroquet lui en proposa un.
Babila cligna des ailes pour le remercier, ils quittèrent ensemble la route pour pénétrer dans les profondeurs de la forêt alors que Tuxedo rôdait autour du chapeau satellitaire pour occuper la mante religieuse aux collants de contention.

Paola

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